Code and Cortex Un peu d'intelligence artificielle… et de matière grise !

La surveillance invisible

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Introduction

À l’ère numérique, les réseaux sociaux sont devenus le théâtre d’une vie sociale effervescente, un espace où l’identité, la reconnaissance et l’interaction prennent une nouvelle dimension. Cependant, cette scène virtuelle est également le lieu d’une surveillance omniprésente, où chaque clic, chaque publication et chaque interaction sont potentiellement scrutés.
Face à cette réalité, un dilemme se pose : ne pas être visible sur ces plateformes équivaut à une forme d’effacement social, voire à une « mort numérique » (et peut être sociale). Pourtant, s’y exposer revient à se soumettre au risque constant d’être jugé et surveillé.

Cette injonction paradoxale, où l’absence et la présence sont toutes deux lourdes de conséquences, sera au cœur de notre exploration dans cet article notamment en s’appuyant sur l’œuvre de Michel Foucault « Surveiller et Punir« .

 

Les formes historiques de surveillance selon Michel Foucault

Michel Foucault, dans son ouvrage « Surveiller et Punir », explore la transformation des méthodes de punition et de surveillance au fil de l’histoire.

Au Moyen Âge et jusqu’à la Renaissance, la punition corporelle visait à montrer le pouvoir de la souveraineté (pouvoir disciplinaire) sur le corps du condamné, souvent à travers des exécutions ou des tortures sur la place publique.


Avec l’arrivée de la modernité, la société a cherché des méthodes plus « humaines » de punition. Cela a conduit à la création de prisons, où les détenus étaient isolés et surveillés en permanence.
Mais cette surveillance ne se contient pas à l’univers carcéral. Michel Foucault décrit comment les institutions (écoles, hôpitaux, usines) ont commencé à utiliser ces nouvelles techniques disciplinaires pour surveiller et contrôler les individus.
L’œuvre de Foucault révèle donc un « mouvement » historique dans la gestion de la déviance, passant de la torture/supplice/punition vers une surveillance invisible et plus généralisée à travers les institutions.

 

La Société disciplinaire de Michel Foucault

Le Panopticon est une structure architecturale imaginée par le philosophe Jeremy Bentham au 18e siècle.
Il s’agit d’une prison circulaire où un gardien, placé en son centre, peut surveiller tous les prisonniers sans être vu.
Les détenus, conscients de cette surveillance constante mais incapables de voir le gardien, finissent par internaliser cette surveillance, se comportant comme s’ils étaient toujours observés.

Cette disposition crée une asymétrie de la visibilité : le surveillant voit tout, mais les surveillés ne peuvent pas déterminer s’ils sont observés à un moment donné

Pour Michel Foucault, le Panopticon est le symbole parfait de la société disciplinaire moderne. Il représente une forme de pouvoir qui n’a pas besoin d’exercer une force physique constante, car la simple possibilité d’être observé suffit à contrôler le comportement des individus.

La surveillance panoptique déclenche des processus cognitifs et comportementales spécifiques.
Ainsi, les individus sont conscients qu’ils peuvent être observés à tout moment. Cette conscience constante crée une tension psychologique.

De plus, avec le temps, les individus n’ont plus besoin d’un surveillant réel pour se sentir observés. Ils internalisent la surveillance, c’est-à-dire qu’ils commencent à surveiller leurs propres comportements, pensées et actions.

En conséquence de cette internalisation, les individus commencent à s’auto-discipliner. Ils modifient leur comportement par anticipation d’une éventuelle punition.

Au-delà de la simple modification du comportement, les individus peuvent également commencer à censurer leurs propres pensées ou expressions, évitant ainsi tout ce qui pourrait être considéré comme déviant ou inacceptable.

A titre d’exemple, le système du « crédit social » du gouvernement Chinois illustre cette forme de surveillance constante auprès de la population.

 

Le Panopticon à travers les réseaux sociaux

Rester en marge des réseaux sociaux, c’est s’isoler du monde connecté ; s’exposer sur les réseaux sociaux c’est prendre le risque d’être constamment évalué et observé.

Cette phrase souligne le dilemme auquel sont confrontés de nombreux individus dans une ère dominée par les médias sociaux.

Rester en marge des réseaux sociaux, c’est s’isoler du monde connecté

Cette première partie de la dialectique met en évidence l’importance croissante de la présence en ligne dans notre société contemporaine.

  • Existence sociale : Les événements, les discussions, et même certaines interactions sociales se déroulent désormais en ligne. Ne pas y participer peut donner le sentiment d’être en marge ou déconnecté.
  • Opportunités professionnelles : Sur le plan professionnel, une absence de présence en ligne peut signifier des opportunités manquées. Les employeurs, les clients et les collègues utilisent souvent les réseaux sociaux (LinkedIn en particulier) pour la recherche, le réseautage et la collaboration.
  • Validation et reconnaissance : Les réseaux sociaux offrent également une plateforme pour la reconnaissance et la validation. Recevoir des « likes », des commentaires et des partages peut renforcer l’estime de soi et le sentiment d’appartenance.

Toutefois, cette visibilité a un coût : « S’exposer sur les réseaux sociaux c’est prendre le risque d’être constamment évalué et observé »

Ainsi, ne pas participer à cette sphère numérique peut signifier l’exclusion sociale ou professionnelle. Mais s’exposer, c’est aussi prendre le risque d’être jugé, critiqué ou surveillé.

  • Surveillance omniprésente : Sur les réseaux sociaux, chaque utilisateur est à la fois observateur et observé. Les likes, les commentaires, les partages et les vues sont autant d’indicateurs de surveillance.
  • Internalisation de la visibilité : Conscients de cette audience potentielle, les utilisateurs des réseaux sociaux internalisent souvent l’idée d’être constamment sous le regard des autres.
    Cela peut influencer la manière dont ils se présentent en ligne, les sujets qu’ils abordent et les opinions qu’ils expriment.
  • Auto-discipline numérique : Les utilisateurs modifient leur comportement en ligne pour s’adapter à ce qu’ils perçoivent comme étant socialement acceptable ou désirable. Cela peut inclure le choix des photos à publier, la manière de rédiger une mise à jour de statut ou les sujets à éviter.
  • Auto-censure sur les réseaux : De nombreux utilisateurs s’abstiennent de partager certaines opinions ou informations par crainte de répercussions, qu’il s’agisse de désapprobation sociale, de harcèlement ou de conséquences professionnelles.

Cette dialectique illustre donc le double tranchant des réseaux sociaux.
D’une part, ils offrent une plateforme pour l’expression, la connexion et la reconnaissance sociale.
D’autre part, ils exposent les individus à la surveillance, au jugement et à la pression sociale.

Tout comme le Panopticon de Bentham visait à instaurer une auto-discipline parmi les détenus, les réseaux sociaux ont créé un environnement où les utilisateurs s’autorégulent et s’autocensurent en réponse à la perception constante d’être observés.

Les objets de la surveillance sont multiples. On trouve bien sûr les contenus partagés (images, les vidéos, les textes et les liens) ainsi que les interactions. Mais l’indicateur le plus sensible semble être les interactions entre utilisateurs (Les likes, les partages, Qui interagit avec qui, qui suit qui, qui bloque qui). En effet, la densité des informations restent assez faibles pour comprendre et établir le profil numérique de l’utilisateur.

Ainsi les interactions (connexion entre utilisateurs, identifications par les posts, les likes sur les posts) sont des informations très précieuses pour modéliser le profil de l’utilisateur.

 

Qu’est-ce que le système de crédit social ?

Le système de crédit social en Chine est une initiative gouvernementale visant à évaluer la « fiabilité » des citoyens, sur la base de leurs comportements sociaux et financiers. Lancé officiellement en 2014, ce système attribue des points ou des scores en fonction de divers critères, tels que le respect des normes de vie sociale, le comportement sur les réseaux sociaux, les infractions routières, et bien d’autres…
Un score élevé peut offrir des avantages, tels que des prêts à faible coût, tandis qu’un score faible peut entraîner des sanctions, comme des restrictions de voyage ou l’accès limité à certains services.

Le Système de Crédit Social comme Panopticon

Il y a des similitudes frappantes entre le concept du Panopticon et le système de crédit social en Chine :
Surveillance omniprésente : Tout comme dans le Panopticon, les citoyens sous le système de crédit social sont surveillés en permanence. Chaque action, qu’elle soit positive ou négative, peut influencer leur score.
Auto-discipline : Conscients de cette surveillance constante, les citoyens sont incités à s’autoréguler.
Asymétrie de la visibilité : Bien que les actions des citoyens soient constamment évaluées et notées, les mécanismes exacts et les algorithmes derrière le système de crédit social restent en grande partie opaques pour le grand public.

A propos de l'auteur

Stéphane Meurisse

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