Le question du bonheur selon la DRH : Entre sourires et réflexions profondes

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Dissocié…

Cet article relate une introspection autour d’une question inattendue lors d’un entretien de recrutement qui m’a conduit à réfléchir sur une œuvre majeure de sociologie.
Je partagerai avec vous cette tranche de vie, en mettant l’accent sur mon interprétation et ma réaction à cette question posée par une DRH pendant cet entretien : Pouvez vous me dire ce qui vous rend heureux dans une journée de travail ?

Face à cette question, je suis « dissocié »… tout en pensant immédiatement à l’ouvrage de Eva Illouz (Directrice d’études de l’EHESS) et Edgar Cabanas (Docteur en psychologie) « Happycratie – Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies Broché » (2018).

L’injonction du bonheur

Le bonheur, bien que présent depuis l’Antiquité grecque avec Aristote, est devenu aujourd’hui un objectif de vie majeur, presque un « Saint Graal ». Pour les philosophes, le bonheur ne pouvait être atteint qu’en menant une vie vertueuse (comme la mienne ;-)). Cependant, la perception contemporaine du bonheur, promue par divers imposteurs se prétendant coachs et experts, diffère grandement de cette vision antique.

Aujourd’hui, la quête du bonheur est omniprésente, que ce soit dans les entreprises ou la Journée internationale du bonheur instaurée par l’ONU. Cependant, cette vision moderne du bonheur semble éloignée de la conception antique. Elle est souvent associée à une quête effrénée, reflétant peut-être des problèmes plus profonds dans nos sociétés actuelles.

Edgar Cabanasse et Eva Ilouz ont écrit Happycratie, analysant la manière dont l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies. Leur thèse suggère que l’obsession actuelle du bonheur découle de l’émergence d’une nouvelle discipline dans les années 2000 : la psychologie positive, fondée par Martin Seligman. La psychologie positive se concentre sur la promotion du bonheur des individus en bonne santé mentale, plutôt que sur les pathologies.

Selon la psychologie positive, le bonheur dépend à 50% de la génétique, à 40% de l’effort individuel et seulement à 10% des circonstances extérieures. Drôle de conception du bonheur de la part du courant de la psychologie positive.

50% de la génétique… whaooo ! voila que le bonheur serait héréditaire !

40% de l’effort individuel… le facteur psychologique entrerait donc pour 40%

10% des circonstances extérieures... les miettes pour les facteurs sociaux

Cette vision réduit le bonheur à une simple équation de volonté individuelle, minimisant l’impact de facteurs sociaux ou économiques. Cette perspective est avantageuse pour les entreprises, car elle encourage les employés à adopter une attitude positive, indépendamment des conditions de travail.

Edgar Cabanasse et Eva Ilouz critiquent également la méthodologie et les postulats de la psychologie positive. Ils estiment que cette discipline offre une vision simpliste et manichéenne des émotions, négligeant la complexité et la nuance des expériences humaines. De plus, ils suggèrent que l’industrie du bonheur, en promouvant une quête incessante de bien-être, peut en réalité augmenter l’anxiété et le malaise chez les individus.

Les auteurs d’Happycratie critique l’instrumentalisation du « bonheur », la manière dont il est actuellement promu et commercialisé pose des questions éthiques et sociologiques. L’industrie du bonheur, soutenue par la psychologie positive, semble privilégier les profits au détriment du véritable bien-être des individus.

Zoom sur l’approche sociologique

Eva Illouz, sociologue renommée, soutient que le bonheur est profondément ancré dans le contexte social.
Selon elle, sans un environnement social favorable, notamment en termes de travail, d’argent et de santé, il est difficile d’accéder au bonheur. Cette perspective s’oppose à l’idée que le bonheur est principalement le résultat d’efforts individuels ou d’une attitude mentale positive.

Eva Illouz suggère que les structures sociales, économiques et politiques jouent un rôle crucial dans le bien-être des individus. Par exemple, une personne vivant dans la précarité, sans accès à des soins de santé de qualité ou à un emploi stable, aura du mal à ressentir du bonheur, quelle que soit sa personnalité. De même, les inégalités, la discrimination ou l’absence de perspectives d’avenir peuvent sérieusement entraver la quête du bonheur.

La psychologie positive et les coachs en entreprise

La psychologie positive, fondée par Martin Seligman dans les années 2000, se concentre sur l’amélioration du bien-être des individus en bonne santé mentale. Elle suggère que le bonheur dépend en grande partie de l’effort individuel. Cette approche a été rapidement adoptée par le monde des affaires, donnant naissance à une multitude de coachs et de consultants en entreprise qui pullule notamment sur le réseau Linkedin.

Ces coachs, armés des principes de la psychologie positive, encouragent les employés à adopter une attitude positive, à voir les défis comme des opportunités et à prendre en main leur propre bonheur. Ils promeuvent l’idée que le bonheur est largement sous le contrôle de l’individu, minimisant ainsi l’impact des facteurs externes.

La culpabilisation de l’employé

L’un des principaux problèmes soulevés par cette approche est la culpabilisation de l’employé. Si un employé n’est pas heureux ou épanoui, la faute lui est souvent imputée. On lui dit qu’il ne fait pas assez d’efforts pour être positif, qu’il ne voit pas les choses du bon côté ou qu’il ne prend pas suffisamment soin de son bien-être mental. Cette perspective ignore les défis réels auxquels les employés peuvent être confrontés, tels que la surcharge de travail, le manque de reconnaissance, les relations toxiques au travail ou les inégalités salariales.

Et ma réaction dans tout cela…

En évoquant la « dissociation » je fais référence à un simple état de « flottement » ou mon esprit a immédiatement pensé à l’œuvre d’Eva Illouz de Edgar Cabanas.
La dissociation est souvent considérée comme un mécanisme de défense face à des situations stressantes. Elle permet à l’individu de « déconnecter » ou de se « détacher » de la réalité immédiate, ce qui peut aider à gérer temporairement des situations émotionnellement. Les symptômes dissociatifs peuvent inclure des sensations de sentiment que le monde extérieur est étrange ou irréel.

Selon moi cette dissociation explique une profondeur de réflexion et à une tendance à penser de manière systémique, et à relier des situations personnelles à des théories ou des idées plus larges. C’est donc un état temporaire « positif », qui démontre ma capacité à rapidement théoriser.

Si vous avez l’occasion de discuter à nouveau de cette question avec un employeur ou un collègue, il pourrait être intéressant d’expliquer votre réflexion et de partager vos idées sur l’influence du contexte social sur le bonheur au travail. Cela pourrait offrir une perspective unique et montrer que vous avez une compréhension nuancée des dynamiques de travail.

Conclusion

La thèse d’Eva Illouz rappelle l’importance du contexte social dans la quête du bonheur. Elle met en lumière les limites de la psychologie positive lorsqu’elle est appliquée de manière simpliste dans le monde de l’entreprise. Alors que la psychologie positive a certainement sa place, il est crucial de reconnaître que le bonheur ne peut pas être réduit à une simple question d’attitude.
Les structures sociales, économiques et politiques jouent un rôle essentiel dans le bien-être des individus, et les ignorer peut conduire à une vision tronquée et potentiellement nocive du bonheur.

Si j’ai l’occasion à nouveau de discuter de cette question avec un employeur ou un collègue, je pense que je partagerai ma réflexion et mes idées sur l’influence du contexte social sur le bonheur au travail. Cela pourrait offrir une perspective unique et montrer que j’ai une compréhension nuancée des dynamiques de travail.

Enfin je vous conseille vivement la lecture de l’ouvrage de Edgar Cabanas et de Eva Illouz !

A propos de l'auteur

Stéphane Meurisse

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Stéphane Meurisse